A16(d) - Une convergence des luttes? Le complotisme au cœur de l’écosystème réactionnaire de droite
Date: Jun 14 | Time: 08:30am to 10:00am | Location:
Chair/Président/Présidente : David Morin (Université de Sherbrooke, Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l'extrémisme violents)
Discussant/Commentateur/Commentatrice : Mathieu Colin (Université de Sherbrooke, Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l'extrémisme violents)
Discussant/Commentateur/Commentatrice : Sylvain Bédard (Université de Sherbrooke, Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l'extrémisme violents)
Les démocraties occidentales feraient actuellement face à un phénomène croissant, identifié comme la convergence entre désinformation, conspirationnisme et extrémisme. Cette tendance semble s’être accélérée dans le contexte de la pandémie de COVID-19, instrumentalisée par certains acteurs et actrices politiques et sociaux, puisque les contextes de crise facilitent la circulation du complotisme (Basit 2021). En outre, au Canada, la pandémie fut l’occasion d’observer une certaine unité, ou du moins une coalisation des mouvements que l’on nommera réactionnaires, allant de l’extrême droite à l’alterscience en passant par la droite religieuse, libertarienne ou encore anti-gouvernement (Carignan et al 2021, CPRMV 2023, Amarasingam et al. 2021). En outre, l’augmentation de la désinformation et du conspirationnisme dû à l’ingérence ou à l’influence de pays étrangers dans le cadre d’autres crises comme la guerre en Ukraine (Bridgman 2022, Centre for Artificial Intelligence Data 2023) a largement participé à consolider ce mouvement, sinon à le galvaniser. Ce panel souhaite ainsi explorer les dynamiques à l’œuvre au sein de cet écosystème réactionnaire de droite, observé non pas uniquement au Canada mais bien dans plusieurs pays occidentaux (Morin, Bédard et Colin 2023, Carignan et al 2022) et la manière dont le complotisme sert de dénominateur commun à ces tendances idéologiques, notamment à divers degrés d’extrémisme. Les communications partiront ainsi d’études de cas spécifiques pour démontrer comment le complotisme, au sein de l’écosystème réactionnaire, est un enjeu majeur pour les démocraties, et dont le caractère protéiforme doit être étudié pour en comprendre les plus récentes manifestations et ses évolutions potentielles.
Désinformation, théories du complot et enjeux de sécurité publique et nationale: David Morin (Université de Sherbrooke, Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l'extrémisme violen)
Abstract: Les théories du complot (TC) et la désinformation peuvent avoir des conséquences néfastes en alimentant une perte de confiance dans les institutions, en renforçant la polarisation sociale et en favorisant l'émergence de comportements antisociaux, ce qui peut conduire à l'adoption de comportements plus extrémistes. On observe également une augmentation des crimes et incidents haineux, de l'extrémisme violent et des manifestations violentes, phénomènes qui ont des répercussions graves sur la sécurité nationale et la société dans son ensemble.
L'extrémisme violent en tant que tactique métapolitique visant à la domination culturelle et la prise de pouvoir, tout en utilisant la désinformation comme outil, peut conduire à des coups d'État constitutionnels plutôt qu'à des insurrections violentes. Cette subversion de la démocratie peut être favorisée par la confusion entre les idées conservatrices légitimes et les points de vue extrémistes antidémocratiques. Bien que les facteurs de protection du Canada réduisent la probabilité d'une telle évolution, le pays n'est pas immunisé contre de telles menaces, en particulier avec l'émergence de la polarisation politique croissante et de la désinformation dans l'espace public.
La corrélation entre la désinformation et la violence souligne la nécessité d'aborder ces problématiques de manière globale, tout en préservant les principes fondamentaux de la démocratie. Ainsi, il est essentiel de mettre en place des mesures efficaces pour lutter contre ces phénomènes tout en préservant les droits fondamentaux et en promouvant un dialogue constructif au sein de la société.
Déni climatique et désinformation, quelle conceptualisation pour quelles pistes d’action ?: Marie-Eve Carignan (Université de Sherbrooke, Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l'extrémisme violen)
Abstract: Bien que la désinformation suscite une littérature croissante (Cea et Palomo, 2021), et soulève son lot de critiques, sa conceptualisation est souvent incomplète dans la littérature scientifique (Kapantai et al., 2021). La théorie implicite dominante découle du modèle de déficit informationnel vise à diffuser l’information fiable afin de contrer la désinformation (voir par exemple Van der Linden et al., 2017 ; Maertens et al., 2020).
Or, il a été démontré que la connaissance scientifique est paradoxalement susceptible d’alimenter les polarisations politiques (Kahan et al., 2012). Ce n’est donc pas la méconnaissance que l’on cherche d’abord à combattre, mais plutôt les attitudes et les motivations qui nuisent à la délibération politique et risquent de mener à une forme d’extrémisme.
Des auteurs proposent en ce sens de remplacer la notion de fausseté par celle de tromperie (Karlov et Fisher, 2013), ce qui permet d’y inclure des informations vraies énoncées dans un contexte qui les rend trompeuses (Fallis, 2015). C’est alors la capacité de résistance à la propagande politique pouvant mener à la radicalisation qui est en cause plutôt que la correction d’informations fausses.
Cette analyse s’applique très bien au cas des changements climatiques, où connaissances et méconnaissances scientifiques et résistance politique s’entremêlent et font qu’une stratégie de réponse essentiellement axée sur la correction de l’information risque de demeurer incomplète. Cette conceptualisation ouvre vers de nombreuses pistes d’interventions communicationnelles fondées sur la notion de dialogue dont il s’agira ici d’esquisser brièvement le socle commun.
Gloire à Vindex : complotisme, accélérationnisme et extrémisme dans l’Ordre des Neuf Angles: Mathieu Colin (Université de Sherbrooke, Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l'extrémisme violen)
Abstract: Dans un contexte de visibilité accrue des groupes d’extrême droite accélérationniste dans les dernières années, notamment au Canada (Comité permanent de la sécurité publique et nationale, 2022), et d’inscription de plusieurs groupes comme Atomwaffen Division ou The Base comme entités terroristes (Gouvernement du Canada 2023), certains demeurent complexes et mystérieux. C’est le cas de l’Ordre des Neuf Angles (Order of Nine Angles, parfois abrévié ONA ou O9A). Les rares études à son sujet (Goodrick-Clarke 2002, Kaplan 2002, Senholt 2009 et 2013, Monette 2013, Koch 2021) ont tenté de comprendre comment ce groupe a pu articuler des idéologies aussi diverses que le satanisme « traditionnel » le national-socialisme et même l’islamisme radical (Koch 2023), par le biais de son supposé fondateur, David Myatt. Plus récemment, l’ONA s’est retrouvé au cœur d’affaires légales médiatisées, notamment celui d’Ethan Melzer, un jeune soldat accusé d’avoir fait parvenir du matériel classifié au groupe dans le but de déclencher une attaque terroriste sur son unité militaire (US v. Ethan Melzer 2022). Cette communication vise à comprendre comme l’ONA articuler diverses théories du complot en créant notamment des « ponts narratifs » entre extrême droite et djihadisme (Koch 2023), et en participant par le biais du conspirationnisme au développement d’hybridations idéologiques favorisant le potentiel de radicalisation et la coordination d’acteurs de différents milieux extrémistes.
De la méfiance à la défiance, les sources ordinaires de l’extrémisme au Canada: Sylvain Bédard (Université de Sherbrooke, Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l'extrémisme violen)
Abstract: Au travers le foisonnement d’études psychosociales concernant l’adhésion au conspirationnisme, on risque de perdre de vue le caractère foncièrement politique de la pensée conspirationniste. À partir des données de deux sondages menés par notre équipe, nous nous proposons une interprétation du conspirationnisme centrée sur le rejet de l’autorité politique et de la méfiance à l’égard des élites.
En tant qu’expression radicale d’un doute sur la véracité du sens commun et des discours des élites, la conspirationnisme peut-être associé à une méfiance exacerbée envers les institutions, qui peut éventuellement mener à un extrémisme politique de nature insurrectionnelle.
Il ressort de nos données enquête que le niveau de confiance envers les institutions est lié à l’adhésion à la pensée conspirationniste. Nous pourrons décrire l’association d’autres variables de l’étude avec cette confiance, dont l’appui aux mesures sanitaires. Nous sommes aussi en mesure de relater l’impact déclaré de la pandémie sur ces niveaux de confiance, et ce pour différentes sous-populations.
On établira finalement un lien avec la sympathie à l’égard de la violence qui recèle le potentiel extrémiste, voire insurrectionnel, de la pensée conspirationniste. Nous pourrons contraster ces données avec des études d’autres pays afin de décrire les dynamiques internationales en la matière.